« Mesurer » plutôt que seulement « Compter » l’Impact de votre Marketing Digital.

Plus de 15 ans d’expérience de la mesure d’efficacité du marketing digital  confirme qu’il est important de bien distinguer les concepts de « comptage » et de « mesure » pour saisir pleinement les enjeux d’une « bonne mesure » d’efficacité.

 

Afin de bien saisir les tenants et aboutissants de la mesure d’efficacité du marketing digital, il est en effet essentiel de bien différencier ces deux concepts. « Compter » n’est pas mesurer. Le verbe « mesurer » fait référence au besoin de « chercher à connaître, de déterminer une quantité par le moyen d’une mesure ». La mesure est donc la quantité servant d’unité de base pour une évaluation. Mesurer l’efficacité du marketing revient ainsi à évaluer ses effets, c’est-à-dire à évaluer les résultats escomptés et à réaliser les objectifs fixés. Quels que soient les objectifs visés par le marketing digital : développer la notoriété, l’image, la considération, l’achat, la fidélité ou l’engagement, mesurer consiste à mettre à jour une mesure, une métrique, un indicateur clef de performance ou Key Performance Indicator (KPI), qui pourra permettre d’évaluer l’effet escompté de chacun des objectifs fixés. Le tout peut paraître assez évident mais souvent notre expérience de praticien confirme que les moyens sont déployés sans pour autant avoir véritablement cerné les objectifs prioritaires des actions envisagées : est-ce augmenter la notoriété ? Développer l’image de marque ? Développer les ventes ? Sans objectif, difficile ensuite de mettre en place une phase de contrôle, de mesure de rendement ou d’efficacité qui saura s’appuyer sur des mesures, des metrics adaptées aux objectifs.

 

Le « comptage » est sans doute ce qui qualifie le mieux la « fameuse » mesurabilité du Web. Internet était présenté, à son lancement, comme le média des médias, celui sur lequel tout se mesure et donc tout se valorise et dont on est capable de vraiment mesurer l’efficacité. Le fameux clic semblait à cette époque le meilleur des remèdes contre le besoin de preuves et d’impact des premiers annonceurs sur le Web… « Faites de la pub sur mon site et le nombre de clics vous montrera combien de personnes ont été mises en contact direct avec votre marque. » Alléchant a priori, car par rapport aux grands médias qui touchent une audience massive, mais dont les actions éventuelles (suite à l’exposition publicitaire) ne sont pas directement mesurables, l’argument de la publicité sur Internet est spécialement vendeur… Mais voilà, très vite, les taux de clics ont rapidement chuté (la publicité qui était nouvelle au début, ne l’est plus, elle devient même intrusive, la bannière se transforme en pop up, puis en interstitiel pour de plus en plus forcer l’exposition), pour être aujourd’hui bien en dessous des 0,5 %… Et même si la pénétration d’Internet progressait et progresse encore aujourd’hui, difficile d’avoir une couverture d’audience aussi forte et instantanée que celle proposée par la télévision. Donc pour les sites Internet et la profession au sens large, il fallait démontrer au plus vite que sur Internet on pouvait « mesurer plus », donner plus d’indicateurs, de métriques, et d’un seul coup d’un seul, Internet était devenu « le plus mesurable de tous les médias »… La réalité est qu’il est très facile de tout y compter ou presque (le nombre de visiteurs, de visites, le temps passé, le nombre d’impressions délivré par la campagne), plus difficile de mesurer un effet, en particulier lorsque celui est indirect. Mais malgré cela, très vite la fausse vérité « que sur Internet on peut tout mesurer » fait partie des contenus et des promesses de « résultats » des agences, la réputation d’Internet est toute faite ou presque… Mais voilà, quand on cherche à démontrer que « ça marche » et que l’efficacité n’est pas au rendez-vous, en particulier pour les campagnes qui n’ont pas d’objectifs directs de vente on line et donc directement mesurables, il est beaucoup plus difficile de mesurer les effets.

La couverture d’audience absolue des actions sur Internet est « relativement » faible, il est donc difficile de quantifier les effets exacts ou tout simplement de mesurer quoi que ce soit, en particulier lorsque le plan média fait la part belle à la TV dont l’impact peut avoir tendance à rendre « invisible » les contributions des autres médias dont la couverture est relativement plus faible.

Depuis, plus de quinze ans sont passés, la pénétration d’Internet est forte, l’accessibilité également, la consommation média est de plus en plus fragmentée et les jeunes nés avec Internet, la fameuse Gen Y, ne peut faire sans. Internet, et plus récemment les réseaux sociaux, les suit partout au rythme de leur mobile (cf. le « SoLoMo » : social, local, mobile). Les médias digitaux deviennent incontournables, les marques commencent à l’intégrer et investissent de plus en plus on line. Mais nous pensons que cette progression ira crescendo à la seule condition que mesurer plutôt que seulement compter devienne la règle pour l’ensemble des acteurs du Web.

Mesurer, c’est avant tout fixer des objectifs marketing clairs, identifier les métriques les plus appropriées, évaluer l’atteinte de ces objectifs, mettre en place le dispositif de mesure le plus approprié (et pas seulement « compter » sur les métriques issues du web analytics parfois appropriées, souvent trop limitées) ; mesurer, évaluer, corriger pour progresser et augmenter l’efficacité de ses actions marketing digital. La mesure a un prix, le premier, celui de la discipline, le ROI n’en est que plus fort et permet de « faire les comptes » en fin de campagne pour le bien de l’ensemble des acteurs : marques, agences, et médias et société d’études.

Les utilisateurs de la mesure ROI et leurs besoins

Il nous semble important de consacrer quelques paragraphes aux principaux intervenants de la mesure d’efficacité et, plus généralement, du marketing digital, car leur métier, rôle et position dans la chaîne de valeur « marketing digital » mettent à jour des attentes, parfois des a priori, souvent différents par rapport à la notion de « contrôle d’efficacité ». Cette compréhension préalable est essentielle pour définir les bases d’un langage commun et d’objectifs sur lesquels l’ensemble des parties doivent pouvoir échanger, dans le but d’évaluer le rendement de leurs actions marketing.

 

  • Les intervenants et leur rôle

Il y a généralement quatre types d’acteurs dans la chaîne de valeur marketing digital : l’annonceur, l’agence de publicité ou « digitale », l’agence médias et la société de mesure (une société d’études le plus souvent). Un cinquième intervenant peut parfois s’intercaler entre ces différents acteurs, généralement à la demande de l’annonceur, le conseil ou consultant, qui peut  recommander une approche, un process approprié à la mise en place d’objectifs et donc de mesures adaptées.

L’annonceur

Il est naturellement le principal intéressé par le processus de contrôle d’efficacité. En effet, la marque investit dans le digital (et les autres médias) pour construire et entretenir sa présence et son capital et ce, quel que soit l’objectif visé ; par exemple : branding, considération, acquisition de nouveaux clients ou fidélisation.

La marque doit fixer à l’agence ses objectifs. L’agence sera alors en charge de développer et d’exécuter un plan (la copy strategy) devant permettre de les atteindre. La mesure d’efficacité doit donc directement être liée au contrôle de l’atteinte de ces objectifs. Ce contrôle devient indispensable et doit permettre :

–         d’évaluer le retour sur investissement ;

–         de mettre à jour des enseignements pour encore plus optimiser l’impact des actions ;

–         de justifier les investissements passés et ceux à venir.

 

La phase de contrôle d’efficacité semble incontournable, mais elle est en fait loin de l’être.

Une étude récente[1], conduite aux États-Unis, auprès de 252 sociétés représentant plus de 50 milliards de dollars d’investissement marketing, montre que :

  • 61 % des sociétés n’ont pas de process défini et documenté qui permette de sélectionner, d’évaluer et de prioriser leurs différentes campagnes marketing.
  • 69 % n’utilisent pas d’approche test/contrôle pour contrôler et évaluer l’effet de leurs campagnes.
  • 73 % n’ont pas de scorecard qui permette d’assigner des objectifs marketing/business clairs, à chaque campagne, avant de les financer.

En deux mots, ces résultats suggèrent que la majorité des entreprises n’ont pas de process en place pour manager et véritablement valoriser leurs investissements marketing. Pour la plupart, elles n’incorporent pas de métriques dans la gestion quotidienne de leurs activités marketing.

À l’inverse, les sociétés leaders sur leurs marchés ont mis en place une approche plus documentée et chiffrée de l’impact de leurs investissements marketing. Dans ce cas, ces entreprises bénéficient d’un véritable avantage concurrentiel[2]. De façon plus spécifique, les recherches du Professeur Tom Davenport, de Babson College, aux États-Unis, confirment que ces sociétés ont un certain nombre de caractéristiques communes, à savoir :

–         un management qui supporte et impose une gestion chiffrée des investissements. L’analytique est centrale, les décisions étant fact based ;

–         les simples statistiques descriptives ont laissé la place à des modèles de décision plus analytiques et prédictifs ;

–         le recours à l’analytique dépasse la seule fonction marketing et est central à l’ensemble des fonctions de l’entreprise ;

–         l’analyse de données structure l’organisation et façonne son fonctionnement (« enterprise-level approach to managing analytical tools »).

Notre propre expérience de consultant, tant en France qu’en Europe et aux États-Unis, confirme ces conclusions. C’est en général moins le digital et sa supposée mesurabilité qui dicte le process de contrôle de l’annonceur que la culture de l’entreprise elle-même. Typiquement, plus l’entreprise est habituée aux métriques pour manager, plus elle cherchera à intégrer la mesure d’efficacité du marketing digital.

Comme nous l’avons vu, les investissements Internet augmentant, la récente crise économique ayant imposé une plus grande rigueur, il faut plus que jamais démontrer que les initiatives marketing et digitales marchent ou, a minima, « vont dans le bon sens ». La mesure devient non seulement plus importante mais sera bientôt incontournable. Au grand désespoir de quelques publicitaires, certains annonceurs l’ont bien compris et commencent à remettre en cause le traditionnel modèle de rémunération de leur agence.

Les services achats et marketing procurement sont peu à peu en train de faire évoluer les compensations généralement basées sur un forfait (fees) et des commissions vers un modèle plus orienté sur la « performance ». La prise en compte du ROI généré par les campagnes est une tendance de fond. On se dirige certainement vers un modèle de rémunération hybride comprenant : forfait, commission et part variable liée au ROI[3].

Les agences

Mesure d’efficacité et créativité des agences font-elles bon ménage ?

Au sein des agences, la question de la mesure d’efficacité n’est pas nouvelle et n’est pas propre au média digital. Nous nous souvenons de nos premières années dans la profession, au début des années quatre-vingt-dix, à l’époque où les annonceurs internationaux commençaient à intensifier la globalisation de leurs pratiques marketing, le chantier standardisation de mesure d’efficacité publicitaire animait déjà de nombreux débats. Plus de vingt ans plus tard, les principaux annonceurs de la planète ont intégré le besoin de pilotage et de mesure d’efficacité de leur publicité, en particulier dans le domaine de la grande consommation.

Plus possible aujourd’hui, dans le cadre de campagnes globales, de ne pas prétester, post-tester ou évaluer les effets via des outils, tels que les « trackings publicitaires ». N’en déplaisent aux créatifs, plus de campagnes, sans tests ! Qu’en est-il sur Internet ?

Assez paradoxalement, le marketing digital est souvent mal évalué, les métriques pas forcément toujours appropriées aux objectifs visés, mais souvent aussi pas suffisamment évaluées. En effet, tout à la fois la rapidité de déploiement et le coût moins important des actions marketing digitales (par rapport aux autres médias) conduisent encore trop souvent à négliger la phase de contrôle d’efficacité. Celle-ci est parfois jugée trop onéreuse (eu égard au coût des actions elles-mêmes). Pourtant, à force de faire sans, il est difficile de juger des effets et donc de justifier les investissements digitaux.

N’en déplaisent aux publicitaires, la mesure d’efficacité devient, dans le digital aussi, de plus en plus incontournable.

Aujourd’hui, on assiste effectivement à un mouvement de fond où les agences les plus en vue du marché cherchent à intégrer de plus en plus de métriques dans leur offre de prestation.

Deux situations : certaines agences intègrent elles-mêmes des prestations études et métriques dans le conseil apporté, tandis que d’autres s’associent à des prestataires études pour proposer une mesure d’efficacité de leurs actions. Il est difficile d’être juge et partie, et en toute logique, nous pensons que le marché s’organisera bientôt, comme il l’est sur la mesure d’impact de la TV, avec l’émergence de spécialistes indépendants de la mesure d’efficacité du marketing digital.

Les agences médias

De façon générale, dans la profession, tout le monde s’accorde sur un point : les médias ont besoin d’être mesurés pour être valorisés et ainsi permettre aux marques de toucher leur audience.

À ce titre, la mesure d’audience est en quelque sorte la « monnaie d’échange » qui permet au marché des médias de se structurer. Il était donc naturel que dès l’émergence d’Internet en tant que média, la mesure d’audience fût un enjeu fondamental : pour les sites bien sûr (qui cherchent à vendre de la publicité), mais aussi pour les agences médias qui veulent proposer à leurs clients (les marques et les agences) un media planning adapté. Aujourd’hui, Médiamétrie, l’acteur majeur de la mesure d’audience en France, associée à Nielsen NetRatings, propose une mesure d’audience user centric (au même titre que ComScore), mais également une mesure dite site centric avec Médiamétrie eStat.

En un peu plus de dix ans, le marché de la mesure d’audience s’est stabilisé mais, encore une fois, il existe toujours une certaine zone « d’incertitude » autour de la précision des mesures fournies[4]. Les approches user centric et site centric sont différentes mais demeurent complémentaires, même s’il est parfois difficile de réconcilier et de comparer des chiffres d’audience dans l’absolu. Ce qui peut sembler a priori anodin est en fait fondamental, car si l’unité de mesure du média, sa « monnaie d’échange » en quelque sorte, n’est pas comprise, acceptée et reconnue, c’est l’ensemble de l’écosystème digital qui vacille et ne peut se développer comme il se doit.

Certes, les initiatives ne manquent pas pour rationnaliser (par exemple, l’IAB US avec l’ANA[5], l’IAB Europe ou la WFA[6]), mais difficile d’accorder l’ensemble des parties. Vous l’aurez compris, mesurer Internet est difficile et le restera et, à ce stade, il ne s’agit même pas encore de mesurer l’efficacité, mais simplement de « compter » et de valoriser l’audience.

Malgré ces difficultés, les agences médias demeurent, sans aucun doute, le maillon de la chaîne de valeur digitale qui a le plus contribué au développement de la mesure d’Internet, mais avant tout dans une volonté de « comptabilisation » des audiences, plutôt que d’efficacité des actions ; avec pour autant une volonté de légitimer Internet, au même titre que les autres « grands médias ».

Les sociétés d’études

Nous faisons ici plus référence à la mesure des effets qu’à la « comptabilisation » des audiences. Cette responsabilité est souvent du ressort des sociétés d’études marketing et publicitaires. Les investissements progressant, la mesure des effets tend également à se développer.

Le marché de la mesure d’efficacité du marketing digital commence véritablement à se structurer avec l’apparition des acteurs traditionnels des études d’efficacité publicitaire. D’autres acteurs indépendants et positionnés sur ce secteur depuis leur origine se développent au rythme de croissance des investissements Internet. Dans tous les cas, la mesure du digital et de ses effets est un métier qui nécessite tout à la fois une maîtrise des études, des technologies Internet, mais aussi des spécificités du marketing digital. Nos discussions avec les annonceurs les plus avancés sur le sujet nous le confirment : n’est pas ou ne devient pas spécialiste qui veut.

Pour exemple, alors que dans le cas des campagnes TV internationales, l’évaluation des campagnes est quasiment systématiquement confiée aux gros acteurs traditionnels du marché des études, quand il s’agit de problématiques digitales, des acteurs indépendants, de plus petites tailles mais spécialisés sont non seulement sollicités, mais souvent remportent les appels d’offres. Dans tous les cas, petits ou gros, les acteurs de la mesure d’efficacité du marketing digital vont devenir incontournables, car comme nous l’avons expliqué, le marché du digital, et ses annonceurs en particulier, ont de plus en plus besoin de mesurer pour justifier le ROI de leurs investissements.

 

Perspectives d’Avenir

Nous pensons que l’ensemble des intervenants de la chaîne de valeur marketing digital ont un bel avenir devant eux car fondamentalement le marketing de demain et déjà d’aujourd’hui est digital et interactif ou n’est pas. Cependant, cet avenir a un prix: celui de la définition d’un langage commun de la part de l’ensemble des acteurs, langage capable de clarifier une « bonne » mesure d’efficacité. Celle qui pourra prendre en compte l’ensemble des effets possibles, en phase avec les objectifs visés par l’action marketing, et « mesurer » plutôt que seulement « compter », en identifiant les « bons » KPIs ou métriques les plus adaptées. L’avenir de la profession est à ce prix. Nous encourageons donc l’ensemble des acteurs à coopérer et pensons que le mouvement de fond devrait être engagé par les annonceurs eux mêmes, car ce sont eux qui « paient l’addition ». Ne nous trompons pas de bataille, ce n’est pas le « Big Data » qui nous sauvera mais l’intelligence des acteurs à s’organiser pour répondre aux exigences d’un environnement marketing et communication qui s’est véritablement transformé en l’espace de 20 ans. Marketeurs, l’avenir est bel et bien radieux: à nous de saisir les opportunités en nous adaptant !

 

 

Laurent Florès, est enseignant chercheur de l’Université Paris II, professeur affilié à l’INSEEC et associé de SLPV analytics. Il est auteur de Mesurer l’Efficacité du Marketing Digital (Dunod), livre qui a reçu le Prix de l’Académie des Sciences Commerciales 2013.

 

 

 

[1] Voir l’étude conduite par Kellogg School of Management, publiée dans l’ouvrage Data Driven Marketing, Wiley, p. 4.

[2] Voir l’excellent ouvrage sur le sujet : Competing On Analytics: The New Science Of Winning, de Thomas H. Davenport et Jeanne G. Harris, 2009.

[3]« Lack Of Measurement And Innovation Has Turned Agencies Into « Vendors » » : http://adage.com/article/cmo-strategy/advertising-agencies-innovate-work-procurement/148491/.

 

[4] Beaucoup moins de questions sont posées sur le marché historique de la mesure d’audience TV en France, puisque seule la société Médiamétrie propose une mesure.

[5] Making Measurement Make Sense: Five Guiding Principles of Digital : http://www.iab.net/insights_research/mmms.

[6]« What Advertisers Want From Online Audience Measurement », WFA position paper, april 2009, www.wfanet.org.