En décembre 2014, le Centre National du Cinéma (CNC) décidait d’imposer des plafonds aux rémunérations des artistes participant à un film, si celui-ci bénéficie d’une aide au financement. Cette décision s’inscrivait dans le débat lancé en décembre 2012 par Vincent Maraval, dans une tribune publiée par Le Monde : grâce au « miracle du système du financement du cinéma français », les acteurs seraient trop payés, et, du coup, les budgets des films français trop élevés.
Pour un statisticien, il est frappant de constater que la tribune de Vincent Maraval, et les opinions contraires qui se sont exprimées, s’organisent autour de quelques exemples choisis pour frapper l’imagination : Dany Boon, Gérard Depardieu, Astérix, Populaire,….Comme si le particulier faisait le général.
Il était donc naturel de chercher à voir si une analyse quantitative pouvait permettre d’éclairer le débat. Comme dans beaucoup d’autres domaines, le web fourmille d’informations. Il suffit de prendre un peu (beaucoup…) de temps pour les collecter. Nous avons ainsi rassemblé des informations sur 10 000 films, sortis depuis 2001 : entrées, nombre d’écrans alloués aux films par les distributeurs, réalisateur, principaux acteurs, date de sortie, budget, nationalité, genre, critiques de la presse, notes données par les spectateurs sur Allo Ciné.
Notre modèle économétrique explique le nombre total d’entrées d’un film en fonction des données mentionnées ci-dessus. Le mois de sortie est pris en compte, de même que si le film était en salle durant une coupe du monde ou un euro de football, ou les jeux olympiques d’été et d’hiver. Le modèle intègre aussi la température moyenne à Paris, Lyon et Marseille, ainsi que des notions d’univers concurrentiel : combien de films sont sortis, ou montrés en salle, en même temps.
Une variable essentielle du modèle est le nombre d’écrans alloués par les distributeurs. Quelles que soient les qualités d’un film, s’il n’est montré que dans une salle, il n’aura pas beaucoup d’entrées…. Ce nombre d’écrans intègre la perception des distributeurs sur le film, en particulier en fonction d’informations intégrées dans le modèle comme son budget, sa période de sortie, et bien sûr son casting.
L’impact sur les entrées mesuré par le modèle est donc en fait l’impact non anticipé par les distributeurs. Pour les réalisateurs comme pour les acteurs, nous ne les intégrons à la modélisation que si nous disposons de données sur au moins 5 films les concernant. Si le modèle mesure un effet significatif, cela veut dire que, de manière constante, les distributeurs sous-estiment ou surestiment l’impact d’un acteur sur les entrées d’un film.
Par ailleurs, comme notre modélisation est bayésienne hiérarchique, elle mesure aussi la variabilité de l’impact d’un acteur sur les entrées. Autrement dit, si le seul fait d’armes d’un acteur consistait en un film qui cartonne (au nord, au sud, à l’est et à l’ouest), alors que ses autres films sont en-dessous des attentes, notre modèle est capable de l’identifier.
Premier enseignement du modèle : les distributeurs anticipent plutôt bien l’impact des acteurs sur le succès d’un film. Sur les 388 acteurs ou actrices qui rentrent dans notre modèle, seulement 76 ont un impact significatif : pour ceux-là, les distributeurs se trompent de manière récurrente.
Deuxième enseignement : les distributeurs se trompent plus souvent à la baisse qu’à la hausse. Seulement 26 acteurs ou actrices ont un impact négatif, ce qui veut dire que les distributeurs surestiment les entrées quand leur nom est à l’affiche. Parmi eux, côté français, Christian Clavier, Gérard Jugnot ou Audrey Tautou. En bonne compagnie, puisque George Clooney ou Leonardo DiCaprio sont aussi dans cette catégorie.
Surprise de taille quand on regarde les acteurs ou actrices sous-estimés par les distributeurs. Sur le top 20, 18 sont français : Sandrine Bonnaire, Nicole Garcia, Yolande Moreau, Louis Garrel, Michel Serrault, Charles Berling, Fanny Ardant, Esla Zylberstein ou Isabelle Huppert en font partie. Dans notre analyse, rien ne semble donc confirmer une sur valorisation des acteurs français.
L’intérêt du modèle tient aussi à l’analyse des autres impacts. Du côté des titres de presse, les critiques de Positif, Télérama, Télé 7 jours et La Croix ont des impacts significatifs sur les entrées. En ce qui concerne les notes données sur Allo Ciné, si la note moyenne n’a pas d’impact, les notes les plus basses des deux premières semaines d’exploitation, et les notes les plus hautes données tout au long ont un impact certain sur les entrées. Et enfin, comme sur tout marché encombré et concurrentiel, une offre trop abondante a un impact négatif sur les entrées, que les distributeurs semblent avoir du mal à anticiper.
Antoine Moreau
15/4/2015