Dans sa « 12h15 » du 6 octobre, et son édition numérique du 7, Le Monde reprenait béatement une étude du Boston Consulting Group. 64% des cadres interrogés seraient prêts à s’expatrier, dont 94% en France, nous dit-on. La « 12h15 » nous apprenait que plus de 200 000 répondants dans 189 pays ont participé à l’enquête. Ça, c’est du big data, ou je ne m’y connais pas, semblait être le sous-titre implicite.
94%. Allons bon. Un récent week-end à Londres m’a effectivement montré que mon obstination à aimer mon pays, ses entreprises innovantes, mais aussi sa qualité de vie, sa culture, ses restaurants et ses subventions pour les petites entreprises comme la mienne pouvait sembler un peu décalée. Mais dans de telles proportions ? Je me suis donc rendu sur le site du BCG pour comprendre ce que pense l’immense majorité de mes concitoyens cadres.
Lecture instructive.
Un encadré vert, du type “fiche méthodologique”, m’a appris que « BCG and The Network believe that taking a data-driven approach can help solve [HR businesses] challenges ». The Network est l’organisation qui a fourni les adresses mail utilisées pour l’enquête. D’après son site web, The Network est « your partner of choice for international recruitment ». L’échantillon interrogé n’est représentatif que des clients de The Network, et leur profil n’a que peu de rapport avec le profil des cadres en général.
Le biais dans l’échantillon se voit immédiatement dès que l’on regarde les quelques données de profil disponibles. Celles de la France ne sont pas indiquées, mais on a celles de l’Allemagne. Dans l’échantillon allemand par exemple, seulement 30% des personnes interrogées ont des enfants à charge. Les données disponibles sur le site de Destatis, l’office statistique allemand, nous indiquent que la vraie proportion chez les cadres est de plus de 50%.
On n’est donc pas du tout sur la population des cadres, ni même des cadres qui recherchent un emploi. Le titre de l’article du Monde doit ainsi être retravaillé : 94% des cadres français qui s’adressent à des recruteurs spécialisés dans l’international ont envie de s’expatrier. Je sais, c’est moins vendeur. Mais du coup, je suis inquiet pour les pays où ce chiffre est inférieur à celui de la France…
Rien de nouveau, malheureusement, dans tout cela. Tout le monde connaît l’histoire : en 1936, Gallup prédit correctement la reconduction de Roosevelt grâce à un échantillon bien calibré, quand le Literary Digest, se basant sur plus de deux millions de réponses de ses lecteurs, anticipait l’élection de son adversaire républicain Landon. Les entreprises qui avaient parié sur l’élection d’un président plus proche de leurs intérêts s’en sont mordu les doigts. Toutes proportions gardées, les entreprises qui utiliseraient les résultats de l’étude du BCG pour comprendre les aspirations de leurs cadres sont dans la même situation.
Le Big Data, c’est-à-dire la capacité à collecter des masses de données à un coût beaucoup plus faible qu’il y a quelques années, est une chance et une opportunité que toutes les entreprises en recherche de croissance profitable doivent saisir. Mais jeter par-dessus bord à cette occasion les notions de base de la statistique ne peut que mener à de mauvaises décisions. En combinant l’expertise statistique avec la maîtrise des techniques d’analyse de grosses masses de données, SLPV analytics peut vous aider à faire les bons choix. Vraiment « data driven ».